Créations d’entreprises dans les quartiers de la politique de la ville : quelles spécificités ?



La création d’entreprises a connu un fort dynamisme dans la région Hauts-de-France ces dernières années. Comme l’a montré une précédente analyse, les territoires jouent un rôle dans le nombre et les types de créations réalisées (Repères n°34). Les espaces urbains et denses sont ainsi porteurs d’une forte dynamique de création. Les analyses montrent également que certains secteurs d’activités, portés par des statuts indépendants, sont très  présents.
En application des critères nationaux de définition de la géographie prioritaire[1], la région compte 199 quartiers de la politique de la ville (QPV) ce qui correspond à 653 409 habitants en 2018. 6 746 créations y sont recensées en 2021. Ces quartiers représentent ainsi 12,8 % des créations régionales pour 10,8 % de la population régionale. L’analyse à l’échelle de ces quartiers a pour but de rechercher les spécificités de la création dans ce type de territoire.

 

Des secteurs d’activités et des statuts particuliers

Dans les QPV, les créations se font en grande partie dans l’économie présentielle (ou de proximité) puisque 75 % relèvent de ce champ contre 62 % au niveau régional. Le transport entreposage et le commerce sont les principaux secteurs présents (60 % des créations) comme le montre l’illustration en
première page. Les activités tertiaires (activités scientifiques et techniques et autres activités de service) et la construction sont également présentes.

A un niveau plus fin, des spécificités marquées sont visibles dans chacun des secteurs d’activités. Les « autres activités de poste et de courrier » (activités d’acheminement et de livraison de courriers et colis notamment à domicile), déjà présentes au niveau régional avec plus de 7 000 créations, sont ici encore plus présentes (tableau ci-dessous). Cette activité représente 2 512 créations soit 37 % des créations en QPV ce qui montre un fort  impact des activités de livraison du type « uber » dans les territoires (voir encadré plus bas). L’essor de cette activité est très important depuis la  pandémie de Covid-19 en 2020. Les confinements et restrictions d’activité économique ont soutenu le développement des activités de livraison alors que des commerces et restaurants étaient fermés.

L’indice de spécificité permet d’identifier quelles sont les activités les plus spécifiques aux QPV. Cet indice est de 2,8 pour les autres activités de poste et de courrier ce qui signifie qu’il y a 2,8 fois plus de créations dans cette activité dans les QPV qu’au niveau régional. D’autres activités ont un taux de spécificité supérieur à 1 et sont donc surreprésentées dans les QPV : restauration rapide, commerce de voitures et travaux d’installation électrique.

La dynamique de la plupart de ces secteurs est fortement soutenue par le statut d’entrepreneur  individuel. C’est le cas dans les autres activités de poste et de courrier et de la vente à domicile où le taux d’entreprises individuelles représente près de 100 % des créations. Globalement, le taux de recours à l’entreprise individuelle est une caractéristique des créations dans les QPV puisqu’il est de 83 % contre 70 % au niveau régional. Seuls les activités de restauration rapide et de commerce de voitures sont moins concernées par ce développement,  probablement car les capitaux engagés sont plus importants et nécessitent la constitution d’une société.

 

Activités les plusprésentes Nombre de créations en 2021 Part des créations en QPV Indice de spécificité[2] Part d’entreprises individuelles
Autres activités de poste et de courrier 2512 37 % 2,80 99,9 %
Vente à domicile 249 4 % 0,84 100 %
Conseil pour les affaires et autres conseils de gestion 241 4 % 0,78 84,2 %
Restauration de type rapide 181 3 % 1,21 40,9 %
Commerce de voitures et de véhicules automobiles légers 180 3 % 1,62 70,6 %
Vente à distance sur catalogue spécialisé 164 2 % 0,98 87,2 %
Travaux d’installation électrique dans tous locaux 159 2 % 1,64 81,8 %
Location de logements 147 2 % 0,81 96,6 %
Nettoyage courant des bâtiments 133 2 % 0,91 88,7 %
Vente à distance sur catalogue général 90 1 % 1,02 92,2 %

Source : Insee SIRENE , traitement Agence Hauts-de-France 2020-2040

 

Assiste-t-on à une uberisation des QPV ?

L’étude réalisée par le Compass « L’uberisation des quartiers populaires » montre que les QPV concentrent les travailleurs des plateformes de livraison et de transports de passagers (notamment Uber, Uber Eats, Deliveroo…). Au 1er janvier 2022, au niveau national, 24 % des livreurs et 19 % des chauffeurs VTC résident dans un QPV. Ces travailleurs sont immatriculés dans leur quartier d’habitation QPV quand bien même leur activité les amène souvent à desservir les quartiers centraux ou les villes-centres. La concentration des travailleurs des plateformes dans ces quartiers augmente avec certains facteurs (le taux de pauvreté et la part d’immigrés notamment).

En Hauts-de-France, le constat est très proche concernant les activités des livreurs. 36 % des créations régionales des activités de livreurs (autres  activités de poste et de courrier) sont localisées dans les QPV. Pour certains EPCI, ce sont 40 % à 50 % de ces créations qui sont faites en QPV : il s’agit de la Métropole Européenne de Lille, de la Communauté Urbaine d’Arras, des Communautés d’Agglomération de la Porte du Hainaut et de Creil Sud Oise, ainsi que des Communautés de Communes du Liancourtois et Sud Avesnois.

Ce phénomène se retrouve moins pour les chauffeurs de VTC : seules 86 créations en QPV sont recensées en 2021. Il est possible que les créations  d’entreprises dans ce domaine aient été réalisées les années antérieures à 2021, « chauffeur VTC » étant une activité qui s’est davantage développée à partir des années 2010 mais dont l’activité a été ralentie depuis la pandémie de Covid-19 et la limitation des déplacements. De plus, cette activité nécessite un investissement de départ plus important (permis de conduire, assurances, véhicule). Ce type d’activité reste cependant surreprésenté dans les QPV : les créations dans ces quartiers représentent 22 % des créations régionales du secteur.

Les femmes créatrices d’entreprises sont moins présentes dans les QPV

Dans les QPV, 28 % des créations d’entreprises individuelles sont réalisées par des femmes[3]. Ce taux est nettement inférieur au taux régional qui atteint, pour la même catégorie, 42 %.

Cette différence s’explique notamment par l’éloignement marqué des femmes habitants des QPV du marché de l’emploi : leur taux d’emploi est en moyenne de 34,3 % alors que le taux d’emploi féminin en région est de 45,5 % (Atlas des Quartiers Prioritaires, ANCT).

La surreprésentation de certains secteurs, très masculins, en fort développement grâce au statut des entreprises individuelles, diminue également la part des femmes créatrices dans les QPV. C’est le cas du secteur transport et entreposage comme le montre le tableau ci-dessous. Les créations par des femmes sont présentes dans un nombre assez large de secteurs d’activités : le commerce, les activités de services et de soutien et les transports.

 

 

La diversité des quartiers de la politique de la ville

L’Insee a réalisé une typologie des quartiers de la politique de la ville en Hauts-de-France à partir de données démographiques, sociales et de logement.[4] Cette analyse actualisée en 2020 a permis de déterminer 4 groupes de quartiers :
ƒ

  • Les QPV caractérisés par une mobilité résidentielle et la présence de jeunes actifs (groupe 1). Ces quartiers sont caractérisés par une population de jeunes de 18 à 39 ans. Cette population, qui inclut des étudiants, est relativement mobile. Ces quartiers sont situés à Lille ou à proximité (voir carte en dernière page).
  • Les QPV caractérisés par des revenus peu dispersés et une population plus âgée (groupe 2). Ce profil se caractérise par une population plus âgée et moins mobile. Le taux de pauvreté est plus faible et les revenus moins dispersés. Ces quartiers, souvent de petite taille, se situent notamment dans le bassin minier.
  • ƒ Les QPV caractérisés par une participation au marché du travail et une population jeune (groupe 3). Ce groupe compte la part de mineurs la plus importante. La taille des ménages et le taux d’activité y sont plus élevés. Ces quartiers sont notamment présents dans le Département de l’Oise et dans l’agglomération Lilloise.
  • Les QPV caractérisés par un éloignement du marché du travail (groupe 4). Les taux de pauvreté et de chômage sont particulièrement élevés dans ces quartiers. Une grande partie de ces quartiers se situe dans le Département du Nord (Roubaix-Tourcoing, Maubeuge) mais aussi à Calais ou à Amiens.

 

 

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L’analyse des principales caractéristiques à travers ces 4 groupes de QPV montre plusieurs différences notables (voir tableau ci-dessous) :

  • Le rapport entre le poids démographique et le poids dans les créations est très différent suivants les groupes. Le groupe 1 représente 15 % de la  population habitant en QPV mais 28 % des créations. A l’inverse, les groupes 2 et 3, représentent une part de créations inférieure à leur poids  démographique. Le groupe 4 représente 36,5 % des créations ce qui est similaire à son poids démographique.
  • Le taux d’entrepreneuriat peut varier de 60 créations pour 10 000 habitants dans le groupe 2 à 192 créations pour 10 000 habitants dans le groupe 1  (celui qui concentre les jeunes actifs).
  • La part des livreurs dans les activités soutient la création dans les QPV du groupe 1 qui sont situés à proximité de Lille et donc des lieux de  consommations. Cette part reste assez forte dans le groupe 4 où les taux de pauvreté et de chômage sont importants. En revanche, elle est très faible dans les QPV du groupe 2 : QPV du bassin minier où les quartiers sont de petite taille et peuvent être éloignés des centres-villes. Le groupe 3 se situe à proximité de la moyenne pour ce critère.
  • Le taux de recours à l’entreprise individuelle est très stable quels que soient les types de quartiers.

 

 

Type de QPV Nombre de QPV Population municipale 2018V Part dans la population régionale QPV Nombre de créations Part des créations régionales QPV Part des livreurs dans les créations Part des entreprises individuelles Taux entrepreneuriat pour 10 000 habitants
Mobilité résidentielle et jeunes actifs (groupe 1) 22 101 219 15 % 1 945 28,8 % 41,5 % 84 % 192
Revenus peu dispersés et population âgée (groupe 2) 70 146 974 22 % 878 13 % 25,9 % 82,5 % 60
Participation au marché du travail et population jeune (groupe 3) 57 164 652 25 % 1 459 21,6 % 36,2 % 84,9 % 89
Eloignement du marché du travail (groupe4) 50 240 564 37 % 2 464 36,5 % 38,5 % 82 % 102
Ensemble 199 653 409 100 % 6 746 100 % 37,2 % 83,3 % 103

Source : Insee SIRENE et RP, traitement Agence Hauts-de-France 2020-2040

 

[1]La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014Retour

[2]L’indice de spécificité rapporte le poids d’un secteur dans les QPV au poids de ce même secteur dans l’ensemble des créations régionales

[3]Le taux de création est calculé uniquement pour les 5 619 entreprises individuelles car le sexe n’est pas indiqué pour les autres types d’entreprisesRetour

[4]Cette catégorisation est issue de la publication « Cinq profils de quartiers de la politique de la ville », Insee Analyses Hauts-de-France n°12 de mai actualisée par Insee Hauts-de-France 2020.Retour

 

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